LA MACHINE À MILLIARDS

L’histoire de la Caisse de dépôt et placement du Québec

Monographie historique, 330 p.
Éditions Québec / Amérique, 1989

Avec Jean Campeau – lancement, 26 septembre 1989.

« La machine à milliards, biographie de la Caisse de dépôt et placement du Québec, est un livre superbe. Son auteur, Mario Pelletier, y conte l’émergence d’un géant financier étatique… Si l’on a encore besoin d’être convaincu de l’émergence simultanée d’un nationalisme économique et d’un nationalisme politique agissants, La machine à milliards constituera une pièce à conviction majeure. »

Guy Paquin, Magazine Affaires, janvier 1990. 1er mars 2011

« C’est un livre bien écrit et carrément favorable au rôle moteur que joue la Caisse.  »

Gérald Leblanc, La Presse, 2 octobre 1989

« Cet ouvrage remarquable vient s’inscrire comme un des classiques de l’histoire économique du Québec. »

Louis Jacques Filion, Revue internationale P.M.E, mars 1990

Entrevue audio sur La machine à milliards :

Interviewé par Michel Desautels, SRC, 13 oct. 1989.

Extraits :

La machine à milliards

PROLOGUE

Un jour de janvier 1966, rue McGill, à Montréal, dans le vieil édifice du Canadien National qui date de l’époque du Grand Tronc, un homme arpente d’un air pensif un bureau vide.

Il s’assoit enfin, tire de sa mallette une feuille de papier, puis un stylo, qu’il contemple un moment en souriant sous sa moustache drue de général à la retraite. Ce stylo, ma foi, il vient directement du bureau du premier ministre. Il l’a apporté par inadvertance après sa rencontre avec Jean Lesage, à Québec.

Il rit maintenant franchement, car ce stylo qui ne lui appartient pas, représente en ce moment le seul actif de l’entreprise ambitieuse qu’on vient de lui confier. C’est ce qui s’appelle vraiment partir de zéro.

Le premier ministre Lesage ne lui a pas doré la pilule, il l’a prévenu que le secteur public c’était plus mortifiant et compliqué que l’entreprise privée. Il s’en doute, il est prêt. Même s’il a été élevé dans le sérail du capitalisme canadien en étudiant à la faculté de commerce de l’Université de Toronto puis en travaillant une quinzaine d’années pour la compagnie Sun Life, le brigadier général Claude Prieur a aussi été formé à la dure école de l’armée. Il est capable de tenir le fort, et il le tiendra. Faites-lui confiance, Monsieur le premier ministre.

Le fait est que pendant le premier mois, il sera à lui seul ou presque la Caisse de dépôt et placement du Québec. Il achètera des timbres à crédit, il accumulera les dépenses personnelles, il empruntera même pour commencer le plus tôt possible à mettre sur pied cette entreprise qui allait devenir multimilliardaire.

La caisse centrale d’État rêvée, conçue et planifiée par quelques technocrates du gouvernement Lesage, cette Caisse de dépôt et placement dont la loi constituante avait été votée à l’unanimité au parlement de Québec six mois auparavant, ce pur produit des rêves économiques de la Révolution tranquille avait trouvé son homme, l’homme qu’il fallait pour la mettre au monde.

LE BAPTÊME DU FEU (extrait du chap. 2)

Ces premiers mois d’organisation sont relativement sereins pour la Caisse. Mais à peine a-t-elle dépassé le stade embryonnaire que les circonstances l’obligent à faire valoir ses jeunes muscles.

L’occasion survient avec l’élection surprise de l’Union nationale, le 5 juin 1966; la Caisse connaît alors son « baptême du feu ». Heureusement, Claude Prieur n’est pas né de la dernière pluie: il a prévu le coup, qui se produit d’ailleurs dès le lendemain de l’élection. Ce lundi matin, en effet, des millions de dollars d’obligations du Québec sont mises en vente, dans le dessein évident de torpiller le marché des titres du Québec et de forcer le nouveau gouvernement à rentrer dans le rang. On escompte que, face à l’effondrement de son crédit, ce gouvernement pliera comme les autres devant les puissances financières qui règnent à Montréal, et surtout à Toronto.

Cependant, dans les semaines précédant l’élection, le président de la Caisse de dépôt a pris la précaution d’accumuler d’importantes réserves de liquidités. Aussi peut-il racheter aussitôt les obligations mises en vente. En dosant bien la manœuvre, tout de même, pour que les vendeurs prennent des pertes. Une nouvelle tentative d’intimidation a lieu le jour suivant, le mardi. Claude Prieur continue de racheter, mine de rien. Il s’avance puis prend du recul, deux pas en avant, un en arrière, tout juste ce qu’il faut pour faire perdre de l’argent aux vendeurs tout en leur enlevant l’espoir de réussir leur opération.

Le troisième jour, comme par enchantement, le marché retrouve sa stabilité. Les manipulateurs d’obligations ont compris. Ils savent dorénavant que le Québec a les moyens de se défendre, et que son gouvernement ne sera plus aussi « manipulable ». « Sans que l’opinion publique s’en rende compte, commentera plus tard Jacques Parizeau, et sans que la plupart des hommes politiques, perdus dans leur bavardage, aient saisi la portée de ce qui s’était passé, Claude Prieur venait de poser un des gestes les plus significatifs et les plus importants de l’émergence du Québec contemporain. »